jeudi, juillet 12th, 2012 In Blog @fr By Roman

Chères lectrices, chers lecteurs,

Aujourd’hui, je vous invite à rencontrer Jean Leclercq, traducteur professionnel. Co-auteur du blog: Le mot juste en anglais, avec Jonathan Goldberg, Jean est un passionné des mots. Nous allons découvrir dans l’interview qui suit, l’ascension de Jean, par un curieux hasard, au pays de la traduction. Jean est loin d’être « lost in translation »… Par la suite, nous prendrons rendez-vous avec Jean une fois par mois, afin de connaître son opinion sur quelques faits sociaux et d’actualités, notamment en Turquie ; étant donné que notre repaire de panthère est situé à Istanbul et de plus, Jean s’avère être un expert distingué en ce qui concerne la Turquie d’hier et d’aujourd’hui… Bonne lecture à tous.

Comment en êtes-vous venu à la traduction? Pourquoi y êtes-vous resté?

Très franchement, par hasard. Après de solides études de lettres et de droit, je me trouvais au Canada pour un séjour de durée limitée. J’y rencontrai celle qui est devenue ma femme, et me mis en quête d’un emploi. Quelqu’un m’offrit deux possibilités : être vendeur au rayon de confection d’un grand magasin ou traducteur anglais-français.  La seconde solution me parut plus conforme à mon profil. Je débutai dans le service de traduction d’une grande société.  J’appris le métier sur le tas, entouré de collègues sympathiques qui m’aidèrent beaucoup.  Ensuite, ayant acquis quelques années d’expérience, je tentai le concours de recrutement d’une grande organisation onusienne et j’eus la chance d’être engagé.  Au début, la traduction n’était pour moi qu’un emploi d’attente, mais je m’aperçus vite que j’étais étiqueté et qu’il me serait difficile de me réorienter.  Traducteur de fortune, j’allais progressivement devenir traducteur de métier.

Aimez-vous traduire ? Qu’est-ce qui vous plaît dans la traduction ?

Avec autant de franchise que pour la précédente question, je répondrai que j’ai progressivement aimé traduire. Au début, j’ai trouvé cela intéressant, mais sans plus. Un moyen comme un autre d’attendre une ouverture professionnelle correspondant mieux à ma formation. Le texte à traduire me semblait une contrainte, parfois insupportable. La démarche me paraissait servile. Chemin faisant, je me suis aperçu qu’en traduisant, j’apprenais beaucoup de choses, que je me familiarisais avec toutes sortes de sujets, que chaque texte était une occasion d’enrichir mes connaissances. Il y avait aussi l’envie de transmettre  aussi fidèlement que possible le message, tout en l’adaptant aux subtilités de la langue d’arrivée. Je découvris que traduire, c’est bien plus qu’aligner des mots, c’est recréer, c’est parfois même mieux dire que dans l’original. Bref, que traduire c’est aussi réinventer le texte. Dès lors, je me suis mis à aimer la traduction.

Le traducteur n’est-il pas très isolé, retranché derrière ses textes ?

De par la nature de son travail, le traducteur est forcément isolé. Il éprouve  souvent la « solitude du coureur de fond », l’impression d’entrer dans un tunnel lorsqu’il entreprend un travail de longue haleine, comme la traduction d’un livre. En outre, il faut en convenir, la profession attire les introvertis, les timides, parfois même les tourmentés. C’est un travail peu gratifiant. Le traducteur est un artisan de l’ombre et, bien souvent, il ne demande pas mieux qu’on l’ignore.  Pourtant, il existe des méthodes d’animation du travail : constitution d’équipes, réunions d’harmonisation terminologique, tutorat par les « anciens », mais peu utilisées, par souci de rendement. À cet égard, les possibilités désormais offertes par les blogs et les réseaux sociaux peuvent aider à désenclaver le traducteur, à rompre son isolement. Je pense entre autres aux Fusionistas à Montréal, au Café des freelances à Paris et aux rencontres de réseautage organisées par l’ATAMESL ou les Matinales de la SFT.[1] Mais, encore faut-il qu’il le veuille !

Vous est-il arrivé de traduire des textes que vous avez trouvés insipides ou/et dans lesquels vous ne compreniez pas le point de vue de l’auteur ?

Bien sûr, et c’est face à de tels textes qu’on se rebelle parfois. Le traducteur est le seul qui lise véritablement le document. Comme l’a dit J. Salas Subirat : « Traduire est la manière la plus attentive de lire ». En détricotant le texte, on en découvre toutes les faiblesses et, souvent, lorsque se pose un problème de traduction, c’est à cause d’une maladresse d’expression dans l’original. Un écrivain canadien me disait un jour que, s’il en avait les moyens, il ferait traduire tous ses livres afin d’en débusquer les faiblesses.   Lui, avait compris l’alchimie complexe de la traduction !

Quelle est votre éthique de travail en pareil cas ?

Tenter d’avoir un contact avec l’auteur du texte afin d’élucider la difficulté. Si possible, le rencontrer. Dans une organisation comme celle où j’ai travaillé, le rédacteur du document est souvent dans les parages. Deux types de réactions sont alors possibles. La moins fréquente est du genre: « lt says what it says, just translate ! ». Mais, le plus souvent, c’est une attitude de compréhension et de collaboration qui amène l’auteur à retoucher l’original dans le sens d’une plus grande clarté ou d’une plus grande précision.

À votre avis, quelles sont les qualités essentielles d’un bon traducteur ?

Je serais tenté de vous répondre ce que Mme Seleskovitch disait lorsqu’on lui posait la même question à propos de l’interprète: la bonne connaissance d’au moins deux langues étrangères mais, surtout, un bon bagage de culture générale.  J’ajouterais que le traducteur doit aussi maîtriser parfaitement la langue d’arrivée, c’est-à-dire sa langue maternelle. En effet, il lui faut  connaître toutes les caractéristiques grammaticales et lexicologiques de la langue d’arrivée, s’il veut pouvoir rendre toutes les nuances du texte qu’il traduit.

Combien de langues parlez-vous? Avez-vous certaines dispositions pour ces langues; par exemple, en quelle langue rêvez-vous, préférez-vous lire un livre d’aventure, un livre de cuisine, prenez-vous des notes, etc… ?

Je dis toujours que je n’en sais qu’une: ma langue maternelle. Mais, je traduis à partir de l’anglais et de l’espagnol, et je me débrouille dans plusieurs autres langues.  Les dispositions, à mon avis, c’est la volonté de communiquer avec l’autre. Si cette volonté vous habite, vous aurez des « dispositions ». Le reste est une question de travail. L’apprentissage des langues requiert un effort. Il faut bachoter, tout au moins au début, pour acquérir la masse critique qui permet ensuite d’apprendre plus agréablement. Quant à la langue dans laquelle on rêve, je crois que c’est une illusion. La langue des rêves n’appartient à aucun idiome particulier. Le grand Champollion, linguiste hors-pair, disait rêver en amharique, mais c’était une boutade! Pour ce qui est des lectures, l’original est toujours préférable, quel que soit le sujet, et quant à prendre des notes, oui, j’en prends et de plus en plus, car ma mémoire n’est plus ce qu’elle était naguère.

Enfin, si vous aviez un seul conseil à donner à nos ami(e)s traducteurs/trices, quel serait-il ?

Ce conseil unique sera en fonction de l’expérience professionnelle du traducteur/trice. Au débutant, au junior, je dirais d’avoir confiance, de ne pas se décourager et de rompre l’isolement. Au confirmé, au senior, je dirais de faire bon accueil aux jeunes, de les épauler et de leur donner confiance, car c’est un métier dans lequel on a trop tendance à douter.   Merci Jean et à très bientôt ! Nous suivrons donc les conseils de traduction de Jean, et si vous avez besoin de services de traduction, n’hésitez pas à nous contacter!

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